Ententes / Infraction « par objet » / Médicaments / Indications thérapeutiques non couvertes par une AMM / Arrêt de Grande chambre de la Cour (Leb 826)

Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Consiglio di Stato (Italie), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété, le 23 janvier dernier, l’article 101 TFUE relatif à l’interdiction des ententes et pratiques concertées (Hoffmann-La Roche, aff. C-179/16). Dans l’affaire au principal, les requérantes, des entreprises actives dans le secteur pharmaceutique, ont été sanctionnées par l’Autorité italienne de la concurrence pour avoir conclu une entente contraire à l’article 101 TFUE, visant à obtenir une différenciation artificielle entre les médicaments Avastin et Lucentis, manipulant de ce fait la perception des risque de l’usage de ce 1er médicament en ophtalmologie. L’Avastin, mis sur le marché en 2005, s’était vu attribuer une autorisation de mise sur le marché (« AMM ») pour des pathologies tumorales et a été prescrit pour le traitement de pathologies oculaires avant la mise sur le marché du Lucentis dont l’AMM visait le traitement de ces dernières pathologies. L’Avastin a été retiré, par la suite, de la liste des médicaments remboursables utilisé pour les indications thérapeutiques non couvertes par son AMM. Les entreprises auraient alors conclu un accord de répartition de marché visant à diffuser des avis de nature à susciter des inquiétudes dans le public quant à la sécurité des utilisations ophtalmiques de l’Avastin. Saisie dans ce contexte, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour, notamment, sur les points de savoir si une autorité nationale de concurrence peut inclure dans le marché pertinent, outre les médicaments autorisés pour le traitement des pathologies concernées, un autre médicament dont l’AMM ne couvre pas ce traitement, mais qui est utilisé à cette fin et si l’article 101 §1 TFUE doit être interprété en ce sens que constitue une restriction de la concurrence « par objet » l’entente entre 2 entreprises qui porte sur la diffusion d’informations sur les effets indésirables de l’utilisation de l’un de ces médicaments, aux fins de réduire la pression concurrentielle résultant de cette utilisation. D’une part, la Cour souligne que la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain n’interdit pas que des médicaments soient utilisés pour des indications thérapeutiques qui ne sont pas couvertes par leur AMM. Cette directive n’interdit ni la prescription d’un médicament hors AMM ni son reconditionnement en vue d’une telle utilisation. L’état d’incertitude entourant la licéité des conditions de reconditionnement et de prescription de l’Avastin en vue du traitement de pathologies oculaires ne s’opposait donc pas à ce que l’Autorité italienne conclue que ce produit relevait du même marché qu’un autre médicament dont l’AMM couvre spécifiquement ces indications thérapeutiques. Considérant qu’au cours de la période visée, l’Avastin était fréquemment prescrit pour le traitement de maladies oculaires, la Cour estime qu’une telle circonstance révèle l’existence d’un rapport concret de substituabilité entre ce médicament et ceux autorisés pour ces pathologies oculaires. Partant, l’autorité nationale de concurrence pouvait inclure dans le marché pertinent un autre médicament dont l’AMM ne couvre pas ce traitement mais qui est utilisé à cette fin. D’autre part, la Cour considère que les exigences de pharmacovigilance pouvant impliquer des démarches telles que la diffusion auprès des professionnels de la santé et du grand public d’informations relatives aux risques liés à l’utilisation hors AMM d’un médicament repose sur le seul titulaire de l’AMM dudit médicament. Selon la Cour, la circonstance que 2 entreprises commercialisant des produits pharmaceutiques concurrents se concertent aux fins de la diffusion d’informations portant spécifiquement sur le produit commercialisé par une seule d’entre elles est susceptible de constituer un indice que cette diffusion poursuit des objectifs étrangers à la pharmacovigilance. Compte tenu des caractéristiques du marché du médicament, il est prévisible que la diffusion de telles informations incite des médecins à renoncer à prescrire ce médicament, entraînant ainsi la diminution escomptée de la demande pour ce type d’utilisation. Partant, la Cour juge que constitue une restriction de la concurrence « par objet » une entente telle que celle en cause au principal. (JJ)

© 2020 Copyright DBF. All Rights reserved. Mentions légales / Politique de cookies