Blocage d’un site Internet / Droit de recevoir et de communiquer des informations / Droit à la liberté d’expression / Arrêt de la CEDH (Leb 758)

Saisie d’une requête dirigée contre la Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 1er décembre dernier, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la liberté d’expression (Cengiz e.a. c. Turquie, requêtes n°48226/10 et 14027/11). Dans l’affaire au principal, une juridiction turque a ordonné le blocage du site Internet YouTube. Elle a considéré que ce site contenait plusieurs vidéos qui portaient outrage à la mémoire d’Atatürk et qui constituaient ainsi une infraction en droit interne. Invoquant l’article 10 de la Convention, les requérants, des enseignants turcs, soutenaient que le blocage du site constituait une atteinte à leur droit à la liberté d’expression. La Cour rappelle, tout d’abord, que l’article 10 de la Convention garantit la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et des idées à toute personne. Elle précise, ensuite, que cet article garantit non seulement le droit de communiquer des informations mais aussi celui, pour le public, d’en recevoir. Elle constate, en l’espèce, que les requérants se sont trouvés, pendant une longue période, dans l’impossibilité d’accéder à YouTube. Elle estime, ainsi, qu’en qualité d’usagers actifs du site, ils peuvent légitimement prétendre que la mesure en question a affecté leur droit de recevoir et de communiquer des informations ou des idées. Elle considère donc que le blocage de l’accès à YouTube s’analyse en une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice des droits garantis par l’article 10 de la Convention. La Cour rappelle qu’une telle ingérence enfreint cette disposition si, notamment, elle n’est pas prévue par la loi. Elle précise que cette condition vise non seulement l’existence d’une base légale sur laquelle doit être fondée la mesure, mais également la qualité de la loi en cause. Elle estime, en ce sens, que la base légale doit être accessible aux justiciables, prévisible dans ses effets et compatible avec la prééminence du droit. Or, la Cour constate que, lorsque la juridiction turque a décidé de bloquer totalement l’accès à YouTube, aucune disposition législative ne lui conférait un tel pouvoir. Dès lors, elle considère que la décision de blocage du site ne répondait pas à la condition de légalité voulue par la Convention et qu’elle n’a donc pas permis aux requérants de jouir du degré suffisant de protection exigé par la prééminence du droit dans une société démocratique. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article10 de la Convention. (KO)

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