France / Condamnation pour diffamation / Droit à la liberté d’expression / Arrêt de la CEDH (Leb 762)

Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 21 janvier dernier, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la liberté d’expression (de Carolis et France Télévisions c. France, requête n°29313/10). En 2006, France Télévisions a diffusé un reportage sur le réseau Al-Qaïda qui traitait de la plainte déposée par des familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001 cherchant à faire condamner les principaux soutiens financiers du réseau terroriste. L’une des personnes interrogées dans le reportage a porté plainte, estimant qu’elle était présentée, à tort, comme étant impliquée dans le financement d’Al-Qaïda. Les requérants ont été condamnés à 1000 euros d’amende pour diffamation ainsi qu’au paiement des frais de justice de la partie civile. Si la Cour ne conteste pas que la condamnation des requérants est une ingérence à l’exercice de leur liberté d’expression, elle l’estime, néanmoins, prévue par la loi et poursuivant un but légitime. Elle examine uniquement si cette ingérence est proportionnée et si les motifs invoqués par les juridictions internes, à savoir que la journaliste avait manqué de prudence et d’une réelle objectivité à l’égard des accusations contre une des personnes visée par la plainte, étaient pertinents et suffisants. La Cour affirme que, le sujet du reportage relevant de l’intérêt général et le plaignant occupant une position éminente, la marge d’appréciation de l’Etat était réduite. Elle estime que les propos de la journaliste relèvent plus de jugements de valeur que de déclarations de fait et qu’ils reposent sur une base factuelle suffisante. En outre, la journaliste se contente de reprendre les termes de la plainte qu’elle relate et prend une distance avec les témoignages qu’elle rapporte. La Cour note, également, que les déclarations de l’intéressée n’ont pas été modifiées ou dissimulées, que la journaliste a interviewé un de ses soutiens et que ses avocats ont eu la possibilité, mais ont refusé, de s’exprimer. Elle estime que les journalistes n’ont pas à se distancer systématiquement du contenu d’une citation pouvant porter atteinte à un tiers, que les requérants n’ont pas cherché à tromper le public et que le reportage a été traité de manière responsable. La Cour juge, enfin, que les sanctions étaient disproportionnées, car le montant même faible d’une amende ne constitue pas moins une sanction pénale qui peut avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression. Partant, elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. (CG)

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