Conformément à la définition de l’Agence européenne des droits fondamentaux, la détention consiste dans la privation de liberté d’un individu en lien avec la commission d’une infraction reconnue par la loi[1].
On dénombre près de 500.000[2] personnes détenues au sein de l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne, hors détention en geôles, commissariats et centres de rétention. Ramené au nombre d’habitants, le taux d’incarcération apparaît particulièrement en Pologne (environ 70.000), en Hongrie (environ 20.000) ou encore en République Tchèque (environ 20.000 également). La France compte quant à elle 81.600 personnes détenues au 1er avril 2025 dont plus d’un quart sont présumées innocentes et en cours de détention provisoire.
Le recours à la détention est en constante augmentation dans l’immense majorité des Etats membres et le Conseil de l’Europe note par exemple une augmentation significative du taux de population carcérale à Chypre (+25%), en Irlande (+12%), ou encore en Croatie (+10%).[3]
La question des conditions de détention est inhérente à l’existence de la detention elle-même, et devient dès lors d’autant plus importante que le nombre de détenus augmente. Pourtant et malgré l’ampleur de ce phénomène, l’Union européenne reste sous-dotée en matière d’instruments d’harmonisation des conditions de détention au sein des Etats membres.
Le seul texte contraignant dans ce domaine est constitué par la directive (UE) 2016/800[4] relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants, laquelle reste limitée à des termes relativement généraux. Obtenue de haute lutte, la recommandation (UE) 2023/681[5] portant notamment sur les conditions matérielles de détention ne fait quant à elle l’objet que d’une application très restreinte.
Cette situation est particulièrement préoccupante tant l’état des prisons au sein de l’Union apparaît dégradé et attentatoire à de multiples occasions aux libertés fondamentales (I). Ces atteintes affectent le projet de l’Union d’un espace de liberté, de sécurité et de justice en raison de l’affaiblissement du principe de reconnaissance mutuelle qu’elles induisent et sans que la Cour européenne des droits de l’Homme n’apporte de solution structurelle (II). Dans cette mesure, il apparaît nécessaire d’envisager pour l’Union le déploiement d’un ensemble de nouvelles mesures et d’instruments efficaces à permettre un respect effectif des droits humains en détention (III).
La problématique relative à l’état des prisons au sein de l’Union européenne se pose en premier lieu en matière de surpopulation des établissements pénitentiaires. Ainsi et au sein de l’Union européenne, 7 États membres ont signalé une densité carcérale supérieure à 105 détenus pour 100 places en 2023 : Chypre (166 détenus pour 100 places), la Roumanie (120), la France (119), la Belgique (115), la Hongrie (112), l’Italie (109) et et Slovénie (107)[6].
Cette surpopulation affecte directement l’espace vital dédié à chaque détenu au sein de sa cellule, lequel constitue l’un des critères clés du respect des conditions de détention dignes selon l’Agence européenne des droits fondamentaux[7]. La nécessité d’un espace vital suffisant est pourtant rappelée au sein de l’ensemble du corpus de textes applicables aux membres de l’Union dans ce domaine et notamment :
La Cour européenne des droits de l’Homme elle-même relève la nécessité d’un minima de 3m2 d’espace au sol par détenu au sein d’une cellule collective[11]. Elle a sanctionné à de nombreuses reprises une multitude d’Etats membres sur cette question et produit à ces occasions des arrêts pilotes en matière de surpeuplement carcéral : la Bulgarie (Neshkov et autres c. Bulgarie, 2015[12]), la Hongrie (Varga et autres c. Hongrie, 2015[13]), l’Italie (Torreggiani et autres c. Italie, 2013[14]), la Pologne (Orchowski c. Pologne, 2009[15]) ou encore la Roumanie (Rezmiveș et autres c. Roumanie, 2017[16]).
Outre la question de l’espace vital, cette situation de surpeuplement conduit à dégrader l’ensemble des conditions matérielles de détention le parc pénitentiaire ne pouvant dès lors plus être suffisant en matière :
La Cour EDH sanctionnait sur ce fondement un ensemble d’Etats membres et soulignait la nécessité d’améliorer les conditions de détention en Belgique (Vasilescu c. Belgique, 2014[17]), France (J.M.B. et autres c. France, 2020[18]), Grèce (Samaras et autres c. Grèce, 2012[19]), Roumanie (Iacov Stanciu c. Roumanie, 2012[20]), Slovénie (Mandić et Jović c. Slovénie, 2011[21]) et au Portugal (Petrescu c. Portugal, 2019[22]).
A ces différentes dégradations strictement matérielles s’ajoutent des violations de la dignité des détenus régulièrement sanctionnées par la Cour[23] et rendues d’autant plus insupportables par la surpopulation :
Ces dégradations et atteintes multiples ne sont pas sans conséquences, et il convient de rappeler que le taux de suicide en détention au sein de l’Union européenne est exagérément plus élevé qu’au sein du reste de la population. Le Luxembourg, l’Italie, la Finlande ou la France relèvent des taux de suicides de près de 20 pour 10.000 habitants (contre, pour illustration, 16 pour 100.000 habitants dans le reste de la population)[24].
Remarquons par ailleurs qu’aussi gravissimes qu’elles soient, ces atteintes aux libertés fondamentales sont strictement matérielles. Elles ne doivent pas en cela invisibiliser un certain nombre d’autres restrictions aux droits fondamentaux parmi lesquelles et pour illustration la restriction des droits de vote des détenus ou de l’accès à l’avocat.
Sur ce premier point, il est parfaitement établi par l’article 3 du protocole n°1 à la Convention EDH que le droit de vote d’un détenu ne peut lui être retiré que sous respect du principe de proportionnalité par la démonstration de l’existence d’un lien discernable et suffisant entre la sanction et le comportement[25]. La Charte des droits fondamentaux de l’Union prévoit quant à elle le droit de vote aux élections européennes et municipales en ses articles 39 et 40. Des Etats membres tels que l’Estonie et la Bulgarie (signataire du protocole) violent pourtant directement une telle disposition en retirant automatiquement aux détenus la possibilité de voter lors de leur condamnation[26]. En pratique, la possibilité du vote reste particulièrement faible lorsqu’elle est autorisée, le vote par correspondance n’étant mis en place qu’en France, Allemagne et Espagne[27]. La chose est si vraie que la Belgique a été jusqu’en prendre acte au sein de son code électoral, prévoyant une dérogation à l’obligation nationale de vote concernant les détenus[28]. Les conditions matérielles d’accès à l’information biaisent en toute hypothèse un droit effectif au vote, l’accès aux émissions audiovisuelles ou aux publications écrites étant largement restreintes. Le résultat en est d’une participation des détenus européens au vote se plaçant régulièrement sous les seuils de 20%[29].
Concernant le droit d’accès à l’avocat, celui-ci est largement reconnu tant par le droit du Conseil de l’Europe[30] que par celui de l’Union et particulièrement par la directive 2013/48/UE[31] relative au droit d’accès à un avocat laquelle est applicable en détention. Les avocats conservent cependant de grandes difficultés d’accès à la prison et, partant, à leur client. S’agissant des avocats, ceux-ci voient encore leur accès souvent soumis à discussion (voire négociations) avec l’administration pénitentiaire pour des raisons de convenance, d’organisation voire parfois de franche hostilité. L’accès devient encore plus difficile dès lors que la raison de la venue de l’avocat est un litige ou une demande relative à la vie en détention. En effet et du côté du détenu, l’administration pénitentiaire dissuade encore largement les prisonniers d’avoir recours à un avocat et spécifiquement pour contester leurs conditions de détention, cette dissuasion étant accompagnée de mesures de rétorsion voire d’aggravation des conditions de détention pour les détenus souhaitant les contester[32].
Face à cette situation, l’Union européenne a tenté de développer une stratégie protectrice de la dignité des détenus. Cette politique apparaît cependant encore insuffisante, se reposant largement sur la protection accordée par la Cour européenne des droits de l’Homme et affectant toujours plus le principe de confiance mutuelle entre Etats membres.
En 2010, le programme de Stockholm[33] encourageait ainsi la Commission à mener une réflexion sur la détention : « Le Conseil européen considère qu’il conviendrait d’entreprendre des efforts en vue de renforcer la confiance mutuelle et de rendre plus efficace le principe de la reconnaissance mutuelle dans le domaine de la rétention. Il convient de poursuivre les efforts visant à promouvoir l’échange de bonnes pratiques et de soutenir la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes approuvées par le Conseil de l’Europe […] ». Une année plus tard, l’Union européenne menait en 2011 une vaste consultation par la publication d’un livre vert relatif à l’application de la législation de l’UE en matière de justice pénale dans le domaine de la détention[34]. Le parlement européen appelait dès cette date à « prendre de toute urgence des mesures garantissant le respect et la protection des droits fondamentaux des détenus, notamment des personnes vulnérables, et souhaitent la mise en œuvre de normes minimales communes de détention dans l’ensemble des Etats membres »[35].
Tirée d’une feuille de route du Conseil intégrée au programme de Stockholm, la directive 2016/800[36] relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants constitue l’un des aboutissements de cette volonté. Elle prévoit en son article 10 la nécessité pour les Etats membres de prendre les mesures appropriées pour que les enfants placés en détention se voient : a) garantir et préserver leur santé et leur développement physique et mental; b) garantir leur droit à l’éducation et à la formation; c) garantir l’exercice effectif et régulier de leur droit à la vie familiale; d) garantir l’accès à des programmes qui favorisent leur développement et leur réinsertion sociale; et e) garantir le respect de leur liberté de religion ou de conviction.
Restreintes à la situation des mineurs placés en détention, ces garanties conservent un caractère imprécis quant aux conditions matérielles exactes de la détention. On ne saurait considérer cette directive comme créatrice de véritables standards minimaux tant y manquent les mentions de la taille exacte des cellules, du nombre de sorties ou encore des modalités précises d’accès aux soins.
La Commission privilégiera sur ce point la voie non-contraignante en la forme d’une recommandation[37]. Celle-ci, outre des avancées non-négligeables sur la question de la détention provisoire, fixe de véritables normes minimales relatives aux conditions matérielles de détention : taille des locaux de détention, répartition des détenus, hygiène et conditions sanitaires, alimentation, temps passé hors de la cellule, travail et éducation, soins de santé.
Le cadre normatif européen relatif aux conditions de détention reste par conséquent relativement faible, privilégiant soit un encadrement généraliste soit une voie non-contraignante.
L’Union préfère dans ce domaine se reposer sur la protection accordée par la Cour européenne des droits de l’Homme, laquelle, outre la Convention, peut s’appuyer sur l’ensemble du corpus du Conseil de l’Europe et notamment sur la recommandation sur les règles pénitentiaires européennes[38]. L’effectivité de la Cour EDH peut cependant être remise en question au regard de différents éléments.
D’abord, il faut observer qu’il n’existe aucun standard de mise en œuvre de la Convention, de telle sorte qu’il n’y a pas d’harmonisation dans sa mise en œuvre au sein de l’Union et comme le confirme la Commission[39]. Des différences notables continuent d’exister entre les différents systèmes carcéraux des Etats membres, bien que ceux-ci soient également tous Etats parties à la Convention. En outre, le caractère systématique et répétitif de certaines affaires démontre l’absence de changement structurel au sein des Etats membres[40]. Le fait qu’un jugement de la Cour ait ou non des conséquences réelles sur les systèmes nationaux dépend largement de la manière dont les autorités interprètent le jugement et de la marge d’appréciation dont elles disposent[41]. Enfin, le simple fait qu’un individu dispose d’un droit de recours devant la Cour EDH ne démontre pas être un moyen effectif d’assurer le respect par les parties de leurs obligations avec les règles de la Convention.[42]
La Cour EDH a par ailleurs développé une jurisprudence restreignant son pouvoir de contrôle lors de l’application du droit de l’Union, lequel se veut régulièrement confronté aux conditions de détention indignes.
L’arrêt Bosphorus[43] de juin 2005 institue ainsi une présomption en faveur des Etats membres, jugeant qu’une mesure de l’Etat prise en exécution de ses obligations envers l’Union doit être réputée justifiée dès lors qu’il est constant que l’organisation en question accorde aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention. Si cette présomption peut être renversée en cas d’insuffisance manifeste, il reste qu’elle est parfaitement applicable à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE) lequel peut très justement être contesté sur le fondement d’un risque de conditions de détention indignes.
La Cour EDH fait ainsi preuve d’une certaine retenue dans les affaires mettant en cause le droit de l’Union en général et le MAE en particulier[44]. En 2018, elle se déclarait « consciente de l’importance des mécanismes de reconnaissance mutuelle pour la construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et de la confiance mutuelle qu’ils nécessitent »[45] et concluait l’année suivante à la violation de l’article 2 en raison du refus insuffisamment motivé d’exécuter un MAE visant une personne poursuivie pour assassinat[46]. Ce n’est que près de 15 ans après l’institution de la présomption Bosphorus que la Cour EDH renversera finalement la présomption de conformité, au regard de « l’existence d’une insuffisance manifeste de protection des droits fondamentaux » et face à la situation particulière des prisons roumaines, le pays ayant dans ce domaine fait l’objet de 90 arrêts concernant plus de 120 affaires[47], dans lesquels la Cour EDH a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention. Le cas reste cependant, non sans être anecdotique, à tout le moins isolé.
C’est par conséquent au juge de l’Union européenne qu’échoit le contrôle du respect des conditions de détention à l’occasion de la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, et alors même qu’il est simultanément soumis au principe de confiance mutuelle.
En effet, le mandat d’arrêt européen, encadré par la décision-cadre 2002/583/JAI[48], nécessite comme tous les instruments de reconnaissance mutuelle, qu’existe entre les Etats membres une confiance réciproque quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux, reconnus au niveau de l’Union, en particulier, dans la Charte. Ce principe de confiance mutuelle justifie dès lors, puisqu’aucun d’eux d’est en théorie susceptible de créer des conditions de détention indignes, que le mandat d’arrêt européen ne puisse pas être refusé par l’Etat d’exécution.
Prévoyante, la décision-cadre fondant le MAE prévoit cependant à titre exceptionnel et au visa de son article 1er qu’elle ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux tels qu’ils sont consacrés, notamment, par la Charte des droits fondamentaux.
Cette dérogation est loin d’être restée inusitée.
La Cour de justice de l’Union a fait application de cette exception au sein de l’arrêt Aranyosi et Căldăraru[49] (grande chambre) en 2016 en raison d’un risque de conditions de détention indignes, ledit risque permettant de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen et devant notamment être démontré par des « éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés témoignant de l’existence de défaillances soit systémiques ou généralisées ». La jurisprudence de la Cour a été réitérée à diverses occasions et notamment au sein des arrêts Dorobantu (C-128/18) et Breian (C-318/24) afin d’en préciser les contours. Depuis, les statistiques disponibles sur le MAE[50] montrent que les États membres ont refusé ou retardé l’exécution pour des motifs liés à un risque réel de violation des droits fondamentaux dans près de 586 cas, notamment sur la base de conditions matérielles de détention inadéquates.
L’atteinte portée au principe de confiance mutuelle est considérable tant il est désormais impossible de tenir pour acquis qu’un instrument aussi usité que le mandat d’arrêt européen ne fera pas l’objet d’un refus d’exécution par un Etat membre.
De ces développements ressortent deux conclusions. Premièrement, la protection de la Cour européenne des droits de l’Homme reste insuffisante à endiguer la problématique structurelle des conditions de détention indignes au sein de l’Union. Deuxièmement, une telle problématique porte atteinte à l’édifice entier de la coopération pénale européenne en réduisant l’effectivité du principe de confiance mutuelle.
Dès lors, la question d’une avancée législative européenne sur une meilleure protection des conditions de détention se pose, si nécessaire au besoin d’une règlementation contraignante mais pas seulement.
Désormais l’un des serpents de mer européen, l’harmonisation des conditions de détention au sein de l’Union par la mise en place d’une règlementation contraignante apparaît comme l’une des méthodes les plus efficaces de protection des libertés fondamentales en détention. Elle fait cependant face à un certain nombre de questionnements, le premier étant celui de la compétence de l’Union européenne en la matière.
Pour rappel, les règles de compétence de l’Union en matière de procédure pénale sont énoncées au sein de l’article 82 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’Union dispose à ce titre d’une compétence partagée (au sens de l’article 4 du Traité sur l’Union européenne) dans deux hypothèses :
C’est au titre de l’article 82§2 que la compétence de l’UE peut être envisagée en matière de conditions de détention.
En effet et comme démontré supra, la question des conditions de détention affecte directement la possibilité de reconnaître efficacement les décisions judiciaires au sein de l’Union et notamment en matière de mandat d’arrêt européen. C’est également sur ce fondement qu’était adoptée la directive 2016/800 applicable aux conditions de détention des enfants, le considérant 68 de ladite directive explicitant par ailleurs le respect du principe de subsidiarité dans ce domaine : « Étant donné que les objectifs fixés dans la présente directive, à savoir la définition de normes minimales communes relatives aux garanties procédurales applicables aux enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres mais peuvent, en raison de leurs dimensions et de leurs effets, l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité sur l’Union européenne. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, la présente directive n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. »
Il n’existe en réalité aucun obstacle particulier quant à la compétence de l’Union dans ce domaine, ni au regard des termes de l’article 82, ni considérant les principes d’attribution et subsidiarité. On relève par ailleurs avec intérêt que la directive précitée indique elle-aussi que « bien que les États membres soient parties à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), au pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, l’expérience a montré que cette adhésion ne permet pas toujours, en elle-même, d’assurer un degré de confiance suffisant dans les systèmes de justice pénale des autres États membres ».
Le déploiement d’une directive dans ce domaine par l’Union pourrait utilement se fonder sur les standards minimaux établis par la recommandation de la Commission dédiée[51]. La volonté politique d’une telle démarche existe, le livre vert sur l’application de la justice pénale européenne en matière de détention indiquant que 11 Etats membres étaient en faveur de la mise en œuvre de standards minimaux contraignants en matière de conditions de détention[52].
Il reste que même l’imposition de standards minimaux communs ne saurait être effective que par le biais de mécanismes de contrôle. Deux mécanismes sont à ce titre envisageables, le premier inspiré du Conseil de l’Europe et le second (non-exclusif du premier) tiré des bonnes pratiques nationales.
On pense d’abord aux mécanismes nationaux de prévention (MNP) institués comme organes de contrôle du respect de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[53]. Conformément au protocole les mettant en œuvre, les MNP ont pour mandat de visiter régulièrement les lieux de privation de liberté dans leurs pays, tels que les commissariats de police, les prisons et autres centres de détention, les hôpitaux psychiatriques et tout autre lieu où les personnes ne sont pas autorisées à sortir de leur plein gré. Elles ont également pour mandat de formuler des recommandations aux autorités nationales sur la prévention de la torture et des mauvais traitements et sur l’amélioration des conditions de vie dans les lieux de privation de liberté, pour lesquelles ils jouent un rôle clé. Au niveau français, ce rôle est assuré par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
L’institution d’un mécanisme européen de prévention, basé sur le fonctionnement des MNP (indépendance, immunité, accès libre aux lieux de détention), constitue une option envisageable pour l’Union afin d’opérer un contrôle effectif des conditions de détention au sein des Etats membres. Outre le bénéfice d’une institution autonome du Conseil de l’Europe, un mécanisme européen de prévention trouverait notamment une utilité distincte du Comité de prévention de la torture (CPT) en raison de la possibilité de mener, contrairement à celui-ci, des inspections surprises. Rappelons en effet que le CPT doit de son côté avertir préalablement l’Etat membre de sa visite.
Parallèlement à cette possibilité, les barreaux français et belges plaident de longue date pour la mise en œuvre au niveau européen du droit de visite du bâtonnier, existant déjà dans leur législation nationale. Récemment, les barreaux de Paris et Bruxelles indiquaient revendiquer « la reconnaissance en Europe d’un droit de visite et d’inspection des établissements pénitentiaires et de l’ensemble des lieux de privation de liberté pour les bâtonniers en exercice et leurs délégués, à l’instar du droit existant au bénéfice de certains parlementaires, magistrats et autres autorités indépendantes »[54]
En effet et au niveau français, l’article 719 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l’article 18 de la Loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, a donné au Bâtonnier des ordres des avocats pour mission de contrôle des lieux de privation. Cet article indique ainsi que « les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre sont autorisés à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières […], les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés […]. »
L’idée d’octroyer un droit de visite au bâtonnier et à ses délégués a pour origine le constat que la profession d’avocat, pourtant investie d’une fonction de protection des droits et des libertés fondamentales inhérentes à son état, se retrouvait dans l’incapacité de protéger ces derniers dans le cadre de l’exécution des mesures de privation de liberté, faute de pouvoir constater de visu ce qui se déroulait à l’intérieur des prisons (exception faites des audiences disciplinaires et des parloirs) ou au sein de tout autre lieu de privation de liberté. Par sa fonction et son autorité, le Bâtonnier incarne les missions essentielles de la profession d’avocat : notamment dans ses dimensions de défense, de protection des droits fondamentaux et des libertés individuelles, de primauté du droit et de lutte contre les traitements inhumains et dégradants, que le justiciable soit une personne libre, majeure ou mineure, détenue, hospitalisée d’office, retenue ou gardée à vue.
Permettre au bâtonnier et à ses délégués de visiter les lieux de privation de liberté, revient à octroyer à celui qui représente la profession d’avocat le droit de constater, d’alerter, de faire rapport des situations rencontrées et de participer par un dialogue avec les pouvoirs publics et les administrations en charge des lieux de privation de liberté à l’amélioration de l’état de droit et à la dénonciation de situations dégradantes qui altèrent la confiance des justiciables et l’image de la justice.
Le déploiement d’une telle mesure au niveau européen apparaît une pratique incontournable de l’efficacité de règles relatives à des conditions de détention conformes aux termes de l’article 4 de la Charte.
Enfin, il convient d’évoquer la solution dite de « régulation carcérale » désormais largement citée comme référence en matière de politique pénale souhaitable dans ce domaine. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies[55], le comité contre la torture[56], l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe[57], le comité des ministres du Conseil de l’Europe[58] ou encore le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants[59] s’accordent en effet à considérer la solution de la régulation carcérale comme la plus à même de faire face aux difficultés de surpopulation.
Pouvant être mise en place selon différentes modalités, la régulation carcérale repose sur la conclusion d’accords multipartites entre différents acteurs au niveau local (principalement l’administration pénitentiaire, le président du tribunal, le procureur et les services de probation) et sur l’examen du cas des personnes proches de la fin de leur peine afin d’envisager des mesures facilitant leur libération anticipée ou des mesures facilitant l’exécution de la peine en dehors de la prison. Selon ce système, dans une prison où le taux d’occupation est proche de 100 %, chaque nouvelle incarcération doit être compensée par la libération (sous surveillance) d’un détenu dont la peine touche à sa fin. En d’autres termes, ce levier réglementaire se concentre principalement sur la libération de prison et moins sur la limitation de l’afflux de nouveaux détenus.
L’étude de la commission LIBE du parlement européen sur les prisons et conditions de détention au sein de l’Union[60]qualifie cette mesure de bonne pratique et fournit ainsi l’exemple des villes de Marseille et Grenoble. Cette dernière a vu la conclusion d’un accord en 2020 entre le président du tribunal judiciaire, le procureur de la République, le directeur de l’établissement pénitentiaire de Grenoble-Varces et les services pénitentiaires et d’insertion (SPIP) prévoyant la mise en place d’un mécanisme de régulation dès que l’établissement atteint un taux d’occupation de 130 %.
Potentiellement par la voie d’une recommandation, les institutions européennes gagneraient à inciter les différents Etats membres à suivre cette voie, laquelle serait en parfaite concordante avec l’ensemble des recommandations des différentes institutions internationales.
[1] Agence européenne des droits fondamentaux, « conditions de détention dans l’Union européenne : règles et réalité »
[2] En 2023, selon les chiffres clés des statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, rapport SPACE I (2023)
[3] Idem
[4] Directive (UE) 2016/800 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales
[5] Recommandation (UE) 2023/681 relative aux droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies faisant l’objet d’une détention provisoire ainsi qu’aux conditions matérielles de détention
[6] Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, op. cit.
[7] Agence européenne des droits fondamentaux, conditions de détention dans l’Union européenne op. cit.
[8] ONUDC, Règle n°12 de l’ensemble de règles minima des nations Unies pour le traitement des détenus
[9] Art. 18.5 de la recommandation Rec(2006)2-rev sur les règles pénitentiaires européennes
[10] Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT
[11] CEDH, Mursic c. Croatie, requête n°7334/13, 20 oct. 2016
[12] Requête n°36925/10
[13] Requête n°14097/12
[14] Requête n°43517/09
[15] Requête n°17885/04
[16] Requête n°61467/12
[17] Requête n°64682/12
[18] Requête n°9671/15
[19] Requête n°11463/09
[20] Requête n°35972/05
[21] Requête n°35972/05
[22] Requête n°23190/17
[23] Guide sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, droits des détenus, 31 août 2024
[24] Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, op. cit.
[25] Guide sur l’article 3 du protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l’Homme, droit à des élections libres, février 2025
[26] L’article 42(1) de la Constitution bulgarre confère le droit de vote à tout citoyen bulgare d’au moins 18 ans, qui n’est pas sous le coup d’une interdiction judiciaire et ne purge pas de peine d’emprisonnement
[27] Prison Insider, outil de comparaison pays par pays
[28] Reportage Arte, « voter en prison : l’Europe au défi », 22 mai 2019
[29] Prison Insider,, op. cit.
[30] CEDH, Salduz c. Turquie, requête n°36391/02, 27 nov. 2008
[31] Directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires
[32] Livre blanc établi dans le cadre du programme pour la Justice de l’Union européenne (2014-2020), « Apporter la justice en prison, pour une approche européenne commune », Juin 2019
[33] Programme de Stockholm, « Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens », 2010/C 15/01
[34] Livre vert sur l’application de la législation de l’UE en matière de justice pénale dans le domaine de la détention, COM(2011) 327 final
[35] Résolution du parlement européen sur les conditions de détention dans l’Union, 2011/2897(RSP)
[36] Directive (UE) 2016/800[36] relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales
[37] Recommandation (UE) 2023/681 relative aux droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies faisant l’objet d’une détention provisoire ainsi qu’aux conditions matérielles de détention
[38] Recommandation Rec(2006)2-rev sur les règles pénitentiaires européennes
[39] Rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre depuis 2007 de la décision cadre relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures d’extradition entre Etats membres, SEC(2011) 430, II Avril 2011.
[40] Cour européenne des droits de l’Homme, audience solennelle à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire, 27 janvier 2012
[41] Spronken, T. « Effective defence. The letter of rights and the Salduz-directive » in Vermeulen, G. (ed.), Defence rights. International and European developments, Antwerp, Maklu, 2012, 83
[42] Rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre depuis 2007 de la décision cadre relative au mandat d’arrêt européen op. cit.
[43] CEDH, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande, requête n°45036/98, 30 juin 2005,
[44] L. Robert, « La présomption Bosphorus à l’épreuve du mandat d’arrêt européen », HAL open science
[45] CEDH, Pirozzi c. Belgique, requête n° 21055/11, 17 avr. 2018,
[46] CEDH, Romeo Castano c/ Belgique, requête n° 8351/17, 9 juill. 2019
[47] La plupart de ces affaires répétitives ont fait l’objet d’une clôture partielle en 2018 par le Comité des ministres. V. Résolution CM/ResDH(2018)108, 15 mars 2018
[48] Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres 2002/584/JAI
[49] CJUE, Aranyosi et Căldăraru, 5 avril 2016, C-404/15
[50] https://commission.europa.eu/publications/replies-questionnaire-quantitative-information-practical-operation-european-arrest-warrant_en.
[51] Recommandation (UE) 2023/681 op. cit.
[52] Renforcer la confiance mutuelle dans l’espace judiciaire européen – Livre vert sur l’application de la justice pénale européenne dans le domaine de la détention, COM(2011) 327, 14 juin 2011, 2
[53] Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 18 décembre 2002
[54] Résolution des conseils de l’ordre de Bruxelles et Paris du 18 mars 2025
[55] Avis du Conseil des droits de l’homme du 11 septembre 2023, A/HRC/54/5
[56] Avis du comité contre la torture du 10 juin 2016, CAT/C/FRA/CO/7
[57] Avis de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 21° séance, Doc. 15833
[58] Avis du comité des ministres du Conseil de l’Europe, surveillance de l’exécution de l’arrêt
J.M.B c. France, 1411° réunion, 1451° réunion, 1492° réunion
[59] Rapports du comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants de juin 2021 et décembre 2021
[60] Rapport du parlement européen fait sur demande de la Commission LIBE relatif aux prisons et aux conditions de détention dans l’Union européenne, PE 741.374
La présente note analyse l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») en date du 19 décembre 2024, dans l’affaire Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG (C-295/23).
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