Un régime de détention provisoire mis en œuvre sur la base de décisions insuffisamment motivées et visant en réalité à limiter le pluralisme et le libre jeu du débat politique est contraire à la Convention (8 juillet)
Arrêt Selahattin Demirtaş c. Türkiye (n° 4), requête n°13609/20
Le requérant est un ressortissant turc, coprésident d’un parti politique pro-kurde, ayant fait l’objet d’une arrestation par les autorités nationales pour son implication supposée, en raison de déclarations publiques sur les réseaux sociaux, dans le déclenchement des « événements du 6-8 octobre » 2014, à la suite desquels des manifestations violentes ont éclaté. Le requérant a contesté plusieurs décisions ayant ordonné sa mise en détention provisoire, laquelle a été prononcée une première fois en 2016 puis révoquée le 2 septembre 2019, avant d’être de nouveau prononcée quelques jours plus tard, puis maintenue depuis lors. Il allègue entre autres une violation de l’exigence de « brefs » délais incombant à la Cour constitutionnelle afin de statuer sur la légalité de sa détention provisoire. La Cour EDH a déjà jugé que si, dans un système tel que celui prévu en droit turc, permettant de demander une remise en liberté pendant la détention, le contrôle devant la Cour constitutionnelle peut prendre encore plus de temps, ce cela ne l’exonère pas de garantir le caractère concret et effectif du droit à une décision rapide. Elle considère, qu’eu égard aux circonstances et au contexte factuel dans lesquels les propos incriminés ont été prononcés les autorités turques n’avaient pas établi un lien temporel avec les actions violentes en cause. La circonstance que les déclarations publiques aient été prononcées en parallèle des manifestations ne saurait constituer la base d’un soupçon plausible au sens de la Convention, qui impose que la condamnation soit fondée sur des éléments pertinents et convaincants permettant d’établir un lien de causalité entre les actes reprochés et les infractions poursuivies. Enfin, la Cour relève que le requérant a été maintenu plus de 4 ans en détention provisoire sans que les autorités aient envisagé la mise en place de mesures alternatives. Partant, la Cour EDH conclut, entre autres, à la violation de l’article 5 §1, 3 et 4 de la Convention. Le juge Yüksel a émis une opinion dissidente. (BM)