Absence du témoin / Impossibilité d’interroger / Droit à un procès équitable / Arrêt de la CEDH (Leb 759)

Saisie d’une requête dirigée contre l’Allemagne, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 15 décembre dernier, l’article 6 §1 et §3, sous d), de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un procès équitable et au droit à interroger ou faire interroger les témoins à charge (Schatschaschwili c. Allemagne, requête n°9154/10). Le requérant, ressortissant géorgien, a été condamné, par un tribunal allemand, du chef de cambriolage aggravé. Le tribunal s’est principalement fondé sur les déclarations de 2 ressortissantes lettones recueillies lors de leur interrogatoire par la police et de leur audition par un juge d’instruction avant le procès. Il a exclu le requérant de cette dernière audition et n’a désigné aucun avocat pour le représenter. Après l’échec de l’entraide judiciaire visant à la comparution des témoins reparties en Lettonie, le tribunal a estimé qu’il existait des obstacles insurmontables l’empêchant d’entendre les témoins dans un avenir proche et a ordonné la lecture au procès des retranscriptions de leurs déclarations. Le requérant se plaignait du caractère inéquitable de son procès en ce que ni lui ni son avocat n’ont eu l’occasion, à aucun moment de la procédure, d’interroger les seuls témoins directs de l’infraction qu’il aurait commise, en violation de l’article 6 §1 et §3, sous d), de la Convention. La Cour rappelle les 3 critères de l’examen de la compatibilité, avec cet article, d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin, qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès, sont utilisées à titre de preuves. Elle doit rechercher, tout d’abord, s’il existe un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition. A cet égard, elle estime, en l’espèce, que le tribunal a déployé tous les efforts juridiques que l’on pouvait raisonnablement attendre pour assurer la présence des témoins au procès. La Cour doit vérifier, ensuite, si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation. En l’espèce, elle relève que les déclarations des 2 témoins absentes ont été déterminantes puisqu’elles étaient les seules témoins oculaires de l’infraction et que les autres éléments de preuve ne permettaient pas d’établir de manière probante le cambriolage. La Cour doit, enfin, rechercher l’existence d’éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées par l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble. A ce titre, elle constate, en l’espèce, que ni le requérant ni son avocat ne se sont vus offrir la possibilité d’interroger les témoins, même indirectement, au stade de l’enquête. Elle relève que les autorités de poursuite n’ont pas usé de la possibilité de désigner un avocat qui aurait pu assister à l’audition des témoins devant le juge d’instruction. Dès lors, la Cour considère que les mesures compensatrices prises ont été insuffisantes pour permettre une appréciation équitable et adéquate de la fiabilité des éléments de preuve non vérifiés. Partant, elle conclut à la violation de l’article 6 §1 et §3, sous d), de la Convention. (MS)

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